côte
et iles yougoslaves - 1983
du 26 juillet au 04 septembre
EXTRAITS DE MON JOURNAL DE BORD : En famille
avec Vincent (8 ans) et Olivier (presque 4 ans)
Mercredi 3 août
Traversée de Rimini (Italie) à Pula (Yougoslavie)
Le plein d'eau fait, le bateau file vers Pula, il est environ
9 heures. Jusqu'à 15 heures, la mer est belle, le soleil
brille, peu de vent, nous faisons route au moteur. Soudain,
une agréable petite brise se lève, quelques petits
cumulus voguent au dessus de nous… JP hisse la voile et
le grand génois. Nous filons, le vent s'amplifie, nous
voilà sous grand voile seule. C'est un orage qui passe,
mais il ne pleut pas. Le vent maintenant court à 20 nœuds,
25, des pointes à 30… Prenons un ris dans la grand
voile, c'est encore insuffisant… un deuxième ris
s'avère vite indispensable, et même sous cette
voilure réduite au maximum, nous filons encore.
Le temps passe, mais l'orage, lui ne passe pas… 40 nœuds
(force 8)… rafale à 45 (force 9)…
Bientôt il va tourner et nous souffler sur le nez, les
vagues nous douchent régulièrement, nous sommes
trempés et gelés ! Les enfants dorment dans un
fouillis de coussins et de duvets en vrac.
Devant nous, les nuages noirs, lourds, se pressent à
notre rencontre. La nuit tombe et cela continue.
Après un léger mieux dans la soirée, cela
reprend à l'approche de la côte yougoslave. Des
lumières apparaissent : Pula ! Mais comment trouver la
passe d'entrée parmi les lumières, les éclairs,
le vent de face et les vagues qui giclent sur le pont et nous
piquent les yeux ?
A une heure du matin, nous sommes tout proches de la côte,
mais il y a une presqu'île à déborder avant
d'atteindre le port; par où passer ? La carte marine
a disparu, sans doute envolée dans la tempête…
Il nous reste le guide nautique, mais c'est peu de renseignements.
Enfin, à force de fouiller du regard, cette côte
inquiétante, nous finissons par découvrir un feu
rouge et beaucoup plus tard, et par intermittence, le feu vert
qui lui correspond. Jusqu'au bout, nous nous méfions,
car il y a de hautes masses noires partout. Heureusement, nous
sommes abrités du vent par la terre, et l'eau s'est aplatie.
Enfin, la digue, le port ! Pas facile de se diriger là-dedans,
on dirait la rade de Cherbourg ! Il est 3 h 30 du matin, quand
nous accostons au pied du théâtre illuminé
de Pula. Les enfants, s'éveillent et s'agitent, tous
deux admirent les grands navires tout éclairés.
A table ! 4 heures du matin ! Un bol de soupe brûlante,
car nous sommes frigorifiés, et nos habits bien que changés
plusieurs fois, sont mouillés, un bout de fromage et
tout le monde au lit !
Vendredi 5
Etape Pula-Medulin.
Nous mouillons dans une baie profonde protégée
des vents et des vagues de toutes directions.
Ce soir, dans le calme de la nuit qui a tout enveloppé,
pas un souffle de vent, pas une ride sur l'eau pour agiter le
bateau. Rien ne bouge, c'est le grand calme.
Samedi 6
La nuit dernière s'est révélée pleine
d'imprévus ! En fait de calme, le bateau s'est posé
sur la vase, à cause du marnage (faible marée)
que nous avions oublié ! Et peu à peu, il s'est
incliné sur bâbord, ce qui nous a obligé
à nous agripper au rebord du lit pour dormir, sans débouler
vers le fond du lit.
Pour comble, à 3 heures du matin, un orage d'une violence
inouïe a éclaté, 40 nœuds de vent qui
ont redressé d'un coup le bateau, le plantant droit dans
la vase. Impossible de faire quoi que ce soit sinon regarder
le vent et les éclairs et attendre le matin, pour que
le bateau flotte à nouveau.
Etape vers Unije, un îlot sauvage à 18 milles de
Medulin. Nous avons d'abord rebroussé chemin ce matin,
la mer étant trop forte, et tantôt, le temps étant
redevenu clément nous avons atteint notre but.
C'est un îlot presque désert avec juste un village
serré au bord d'une petite plage. C'est là que
Cap Sounion est ancré, dans une eau transparente qui
laisse deviner un joli paysage sous-marin.
Pas de voitures, tout le monde marche à pied, les ruelles
en pente sont pavées de blocs de pierre, les maisons
se serrent les unes contre les autres.
Le débarcadère long de quelques mètres
permet l'accostage de quatre ou cinq bateaux, pas davantage;
les commerçants, pas facile de les repérer, aucune
vitrine, une simple porte ouverte dans une façade de
maison particulière, un écriteau au-dessus de
la porte, incompréhensible pour nous, et une table en
travers de cette porte, qui sert de comptoir. La première
"boutique" permet de s'approvisionner en fruits, légumes,
œufs, les caisses posées à même le
sol, débordent de melons, pastèques, raisins,
oignons, ail… Le second commerce débite les liquides
uniquement, bière, eau, vin… Les gens patiemment
alignés les uns derrière les autres font la queue,
les uns avec des sacs, d'autres avec une poussette d'enfant
remplie de bouteilles vides, celle-là encore avec une
brouette pleine de casiers à bouteilles… La boulangerie,
enfin, où le boulanger habillé de blanc et les
mains couvertes de farine, vend son pain sur une table couverte
d'une nappe. Mais aujourd'hui, plus de pain ! Les gens pressés
à la porte vocifèrent, ils ne sont pas contents
de repartir les mains vides. Nous attendons au milieu de ce
concert de protestations, mais en vain… Il n'y a plus
de pain.
La nuit tombée, au mouillage, le voilier se balance largement
au gré des vagues; peut-être y aura-t-il encore
beaucoup de vent cette nuit ? Déjà à 22
heures, nous avons 20 nœuds à l'anémomètre
!
Un chœur de villageois parvient jusqu'à nous. Nous
sommes installés dans le carré, le vent siffle
fort, le bateau tourne, et le chant continue inlassable, un
air yougoslave qui revient indéfiniment, des paroles
qu'on ne comprend pas, des gens qui expriment tous ensemble
la vie de leur village, à la nuit tombée…
Dimanche 7
Etape rapide de Unije à l'île de Losinj.
Une immense baie, aux eaux d'émeraude, si transparente
qu'on voit les fonds, et tout au bout, la petite ville de Mali,
avec ses ruelles, ses étalages de tuniques, de tapis.
L'après midi, la baie se pare de couleurs douces et chaudes.
Le soir venu, nous mouillons au milieu d'une vingtaine de bateaux
tous plus gros que nous. Une nuit étoilée nous
enveloppe d'une chape sombre, tandis que se balancent autour
de nous, les feux blancs, des bateaux au mouillage !
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