Dimanche 28
A 6 h 30, dans la rue, l'activité est déjà
grande, le ciel est bleu, des éléphants se promènent.
Nous partons pour Agra. Au bord de la rue, parmi les immondices,
des gens dorment entièrement cachés sous une couverture.
De place en place, un gros tas d'ordures indique que quelqu'un
a balayé, mais le tas restera là. Vaches et chèvres
commencent déjà à le piétiner et
à fouiller dedans. Il n'est pas rare de voir une vache
manger du plastique ou des chiffons. Ces vaches appartiennent
pourtant à des gens qui en principe les nourrissent et
les traient. Nous traversons le marché du lait. De bon
matin, les paysans y apportent leurs bidons.
Sortis de la ville, nous retrouvons les scènes maintenant
familières, route encombrée, chameaux attelés,
traversée de village épique, gens accroupis sur
le sol, charrettes à bras chargées de légumes,
bassines de friture brûlante, campements rudimentaires
à la sortie des villes, faits de couvertures ou de plastique
et de quelques piquets parmi les carrioles et tout un bric-à-brac,
étalage de pneus, bidons rouillés, tuyaux, moteurs
graisseux, gravats, tas de sable ou de terre, vélos chargés
de bidons de lait ou de caisses, tas de ferrailles, tracteurs
fumant et "teuf-teufant", ateliers divers ouverts
sur la route, femmes en saris portant un pot, une charge de
foin ou de bois sur la tête, femmes accroupies balayant
la poussière avec un fagot de branches, lits en plein
air composés d'une sorte de natte rigide fixée
sur quatre pieds… Difficile de tout décrire, tellement
de choses surprennent. Tant de misère, côtoie tant
de faste !
L'autoroute vers Agra est en construction sur des kilomètres,
poussière, camions, machines… Pause-thé
pour Sanjay ! Cela me permet de photographier, sur un chantier,
une femme qui porte une bassine de sable sur la tête,
une autre des briques empilées, un homme avec un sac
de ciment. Des singes se baladent autour de nous, curieux.
11 heures : Fatehpur Sikri.
Le chauffeur gare la voiture et nous partons en carriole à
cheval jusqu'à la grande mosquée en grès
rouge. Un gamin nous accompagne, moyennant pourboire bien sûr
(ici on n'a pas le temps de ranger son porte-monnaie, on l'a
toujours à la main). Il nous explique avec quelques mots
français mâtinés d'anglais les différentes
parties de l'édifice. Il chasse autour de nous tous les
vendeurs ambulants collants, pour une fois nous sommes tranquilles.
Dans la mosquée, se dresse le tombeau d'un grand imam
que les musulmans viennent embrasser tour à tour. A côté,
se trouvent les tombes des femmes musulmanes. Une grande porte
(de la victoire) domine l'ensemble.
Nous repartons vers Agra. Un tuk-tuk est arrêté
au milieu de la route, le moteur est par terre, sous l'engin.
Pas étonnant, ils s'entassent tellement dans ces minuscules
taxis que ça doit arriver. Dans les voitures normales,
on compte souvent quatre personnes à l'avant et quatre
ou six à l'arrière. No problem !
Midi 40 : Agra
La ville est comme partout La première vision, ce sont
les vaches fouillant un tas de détritus, un cochon trempant
dans une eau fangeuse, des étals de légumes et
de graines, rickshaws, vélos, tuk-tuk, embouteillage
incroyable dans lequel on arrive quand même à se
faufiler !
Nous déposons nos valises à l'hôtel et après
avoir établi le programme de l'après-midi avec
l'agence locale, nous allons déjeuner dans un restaurant
proche, sur une grande pelouse à l'ombre d'un parasol.
Notre guide local s'appelle Arif. Nous commençons par
visiter le fort rouge en grès magnifique. Dans le harem
du fort, vivaient cent femmes. Akbar avait en effet trois femmes
(une hindoue, une musulmane, une chrétienne), et cent
concubines.
Certains motifs gravés sur les murs représentent
les trois religions qu'Akbar souhaitait réunir. A l'intérieur
se dressent de superbes bâtiments et un moucharabieh en
marbre blanc d'une seule pièce. D'autres monuments ont
été construits en grès rouge recouverts
de stuc blanc. Dans la salle d'audience où se tient le
balcon du roi, on peut voir des incrustations de pierres semi-précieuses.
Plusieurs échappées à travers des fenêtres
en arabesque permettent d'apercevoir le Taj Mahal un peu plus
loin.
Un moment plus tard, nous nous rendons au Taj Mahal avec un
bus électrique (pour moins de pollution).
Le Taj Mahal… il se dessine dans l'embrasure d'un portail
de grès rouge incrusté d'arabesques… magique…
Haut de 82 mètres, c'est le plus grand édifice
de l'Inde.
Au fond d'un jardin, posé sur un immense socle de marbre,
le monument de type persan, apparaît d'abord lointain,
comme irréel. Peu à peu, il prend du relief. Le
mausolée est coiffé d'un grand dôme autour
duquel sont disposés quatre dômes plus petits.
Aux quatre coins se dressent quatre minarets. Sur chaque façade
du mausolée, s'ouvre un haut porche de forme ogivale.
Le bâtiment, une fois construit, a été entièrement
recouvert de marbre blanc et incrusté de pierres semi-précieuses
(turquoise, corail, malachite, lapis-lazuli). A certains endroits,
le marbre est sculpté en léger relief.
A l'intérieur se trouvent les deux cénotaphes
(répliques des tombeaux) de Shah Jahan et son épouse
Mumtaz Mahal, celle pour qui il avait fait construire ce mausolée.
Les tombeaux originaux sont à l'abri sous la crypte.
De part et d'autre du Taj Mahal, deux édifices
en grès rouge complètent harmonieusement l'ensemble,
marqué par la symétrie et l'équilibre.
L'un d'eux est une mosquée. Derrière le site coule
la Yamuna.
Nous flânons jusqu'au coucher du soleil qui vient caresser
d'orange la façade ouest. Puis nous partons, laissant
derrière nous, cette beauté et cette grandeur.
Après avoir observé dans un magasin, comment on
incruste les pierres dans le marbre, nous rentrons à
l'hôtel.
Lundi 29
En route pour l'aéroport de Delhi, il est 6 h 45, nous
prenons un vol pour Bénarès, cet après-midi.
Les gens qui ont passé la nuit enroulés dans une
couverture sur le trottoir commencent à s'éveiller.
Ils sont nombreux à dormir ainsi, parfois c'est une famille
entière (parents et enfants) qui vit dehors. Voici un
passage à niveau fermé. Tout le monde s'entasse
derrière la barrière, occupant toute la largeur
de la route; de l'autre côté, pareil. Nous arriverons
quand même à tous nous croiser, au milieu de la
voie ferrée, quand la barrière se lèvera...
Une belle performance qui tient du miracle !
Certains petits camions ont le moteur apparent, pas de capot,
rien, on voit tout vibrer là-dedans, dans un bruit ferraillant,
c'est assez hallucinant. Les embouteillages sont intéressants,
justement il y en a un à la sortie d'Agra, nous pouvons
y observer toutes sortes de scènes, quatre étudiants
qui passent sur une moto, deux charrettes lourdement chargées
qui essaient de couper à la perpendiculaire l'embouteillage,
une vache lâchant sous nos yeux dégoûtés
une grosse bouse, un gamin qui pousse une carriole pleine à
ras bord de ces mêmes bouses, séchées, en
forme de galettes, huit écoliers dans un tuk-tuk (quatre
places). Il existe aussi le tuk-tuk "brek" qui semble
normalement prévu pour six, mais qui accueille une douzaine
d'usagers. La circulation se fluidifie, nous roulons avec la
radio indienne, en direction de Delhi. Nous rencontrons un Mac
Do, le premier depuis le départ. Tous les camions portent
à l'arrière l'inscription "Blow horn"
ou "Horn please", et "Use dipper at night".
Sanjay explique qu'il faut klaxonner le jour et faire un appel
de phare la nuit, quand on veut se signaler aux camions. Nous
remarquons que la plupart d'entre eux n'ont ni feu arrière,
ni clignotant.
Certains camions-citernes sont effrayants, cabossés de
partout, mangés par la rouille, on se demande comment
ils tiennent. En Inde, le contraste est partout, richesse et
misère, beauté et saleté. En quelques mètres,
nous passons de l'un à l'autre : très belles femmes
en saris, au visage fin et maquillé, familles en haillons
et nu-pieds grattant dans les tas d'ordures; monuments et demeures
royales, taudis, campements, couvertures sur un trottoir en
guise de logis; écoliers en jolis costumes, enfants d'intouchables
non scolarisés et travaillant ou mendiant dans les rues;
abondance de victuailles sur les étals, beignets, friture,
légumes frais, maigreur de certaines personnes dont les
jambes sont grosses comme mon poignet; piscine des hôtels,
eaux stagnantes et boueuses des lacs.
Certains étangs sont tellement pollués et vaseux
que les oiseaux qui s'y baignent sont encroûtés
de boue. Parfois, un tas énorme de bouteilles plastiques
se déverse dans l'eau.
A une centaine de kilomètres de Delhi, nous trouvons
des champs cultivés, œillets d'Inde (qui servent
à faire les colliers de fleurs), riz… Le riz n'est
pas aussi vert qu'au Sri Lanka, je pense qu'il a commencé
de sécher. Parfois, il est un peu couché, mais
à d'autres endroits, il dresse encore fièrement
ses épis. C'est beau un champ de riz !
En approchant de Delhi, nous roulons dans une espèce
de brume grisâtre (le soleil brille pourtant), difficile
de dire si c'est de la poussière, de la pollution ou
quoi. Les grandes villes se font plus nombreuses. Dans un embouteillage,
une femme vient frapper à la portière pour mendier,
cela arrive souvent dans les villes.
Dans les faubourgs de la capitale, nous voyons de plus en plus
de gens qui vivent sous un bout de plastique tendu sur quelques
piquets, ou attaché à un mur. Ils habitent sur
le bord de la route, dans le dénuement le plus complet,
dans la poussière et les échappements des milliers
de véhicules. Parfois, ce sont des bidonvilles innommables,
taudis enchevêtrés les uns dans les autres, grouillant
de vie. Dans le centre, noyé sous le voile gris qui nous
entoure depuis des kilomètres, les maisons sont en dur,
de grands axes écoulent la circulation dense, la proportion
de voitures "normales" augmente.
A midi, nous arrivons à l'aéroport.
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