Pour finir la matinée, le guide nous
laisse dans le centre-ville. Nous flânons le long du fleuve
aux eaux vertes, nous asseyons un moment sur la rive à
la fraîche des grands arbres et parcourons le marché
central, pour trouver des petits cadeaux pour Steph et Marianne.
On est bien dans cette douce chaleur, alors qu'il fait peut-être
déjà très froid en Normandie. Nos emplettes
terminées, nous choisissons au restaurant khmer, une
autre sorte de curry, très différent de celui
d'hier, et des brochettes de poulet aux noisettes.
Il nous reste un après-midi pour bouquiner dans le jardin
de l'hôtel et ranger les valises, avant de partir en voiture
pour l'aéroport de Siem Reap à 17 heures. Notre
premier vol (pour Bangkok), est à 19 h 30.
oui
mais !
A 17 heures, le guide nous annonce que l'aéroport de
Bangkok est en grève, aucun vol, ni à l'arrivée,
ni au départ. Dans un premier temps, Asia nous paye la
chambre et le dîner pour attendre et voir si demain on
peut prendre un vol avec une connexion ailleurs qu'à
Bangkok. Puis volte-face, Asia ne veut plus payer ni chambre
ni repas. J'insiste auprès du guide et de la réception
jusqu'à ce qu'ils rappellent. Il est hors de question
de payer la chambre dans cet hôtel.
Après plusieurs échanges téléphoniques
- j'ai fini par prendre le téléphone moi-même
- nous obtenons la chambre et le petit-déjeuner. Pas
le dîner ! C'est moindre mal, nous irons à notre
resto khmer. Je préfère ne pas insister... On
verra ça en rentrant.
On nous donne donc une nouvelle chambre. A peine installés,
la clim tombe en panne. Nous ne dormirons pas, il va faire 32°
cette nuit au minimum. J'appelle la réception, on nous
change de chambre. Ils sont très serviables et souriants,
heureusement. Nous envoyons un mail en France pour prévenir
de notre retour différé et nous sortons manger
un "boeuf aux champignons noirs". De retour dans la
nouvelle chambre, la clim fonctionne mais ne refroidit pas,
elle envoie juste de l'air. Nous déménageons le
lit pour nous mettre juste dessous et récupérer
le peu de frais qu'elle donne.
jeudi 27 : l'attente
!
Nous devrions être en France, mais nous sommes encore
là !
Après le petit déjeuner à 7 heures, nous
retrouvons le guide qui s'affaire avec Asia, pour nous trouver
des vols vers Paris, via le Vietnam ou ailleurs. L'aéroport
de Bangkok pourrait être fermé trois à quatre
semaines ! En attendant, nous lisons sur des transats dans le
jardin de l'hôtel, cascades, ruisseaux, poissons énormes,
ombre bienfaitrice des palmiers. Clapotis de l'eau vive, souffle
d'air frais, nous paressons délicieusement, partagés
entre la quiétude du moment et l'inquiétude de
savoir quand nous pourrons rentrer.
En attendant, donc, je lis avec plaisir, "Bonheurs
d'enfance" de C. Signol qui évoque la déchirure
qui ne se referma jamais, quand en 1958, il dut quitter sa famille
pour être pensionnaire à la ville et de là,
lui reviennent tous ces bonheurs d'enfance qui précèdent
la blessure. Beaucoup de ses souvenirs font écho aux
nôtres, nous qui sommes de cette génération
!
A 13 heures, nous attendons toujours, à l'ombre des palmiers.
Le ciel est tout bleu. Nous n'avons pas assez faim pour marcher
jusqu'au restaurant dans la chaleur, alors nous épuisons
notre stock de petites bananes cambodgiennes. Depuis la réception
de l'hôtel, je rappelle l'agence Diethelm, correspondant
d'Asia à Phnom Penh, nous devrions avoir des infos sur
notre vol à 16 heures. Heureusement, j'ai emmené
une pile de bouquins, et nous en avons acheté deux hier,
écrits par des rescapés des massacres khmers.
Nous pourrions sortir, mais nous craignons qu'on vienne nous
chercher à tout moment, alors nous attendons en lisant
dans ce petit jardin.
Je n'ai plus de bloc pour prendre mes notes, je récupère
donc du papier à lettres dans la chambre et je colle
soigneusement toutes ces feuilles sans l'ordre pour m'y retrouver
en rentrant.
17 heures, toujours pas de nouvelles ! Les
transats c'est bien, mais pas très varié ! Je
re-contacte notre correspondant à Phnom Penh, pour m'entendre
dire que tous les PDG d'Asia sont en conférence à
ce sujet et qu'on nous téléphonera dans une heure.
Nous attendons près de la réception en bouquinant.
Vers 18 h 45, Yip (le guide) nous annonce qu'on déménage.
Dommage on nous avait réparé la clim et les gens
de l'hôtel insistent pour que nous restions, ils veulent
même nous faire un prix spécial !
On nous emmène au centre-ville, dans une guest house.
Je veux savoir pourquoi. Il paraît que personne ne veut
payer l'hôtel (et nous non plus). Nous hésitons,
puis décidons de suivre l'agent de Diethelm... Nous n'avons
pas vraiment d'alternative. Il y a des centaines de gens bloqués
dans la ville, quinze grands groupes et trente petits, mais
nous on est seuls, le guide français est parti s'occuper
d'autres touristes fraîchement arrivés, nous sommes
à pied maintenant, et notre interlocuteur de Diethelm
parle un mauvais anglais pendant qu'Asia tient une conférence
!!!
Dans l'auberge, il n'y a pas de petits déjeuners, on
s'en arrangera, on a encore des bananes, et on ira acheter autre
chose si nécessaire. Pas de bouilloire, évidemment,
mais la clim fonctionne bien ! Nous dînons au restaurant
d'à côté, un réchaud plein de braises
sur la table, et posée dessus, une drôle de casserole,
comme un moule à kouglof. Sur la bosse on grille la viande,
tout autour les légumes cuisent dans l'eau. C'est typique,
mais pas terrible à manger ! Le riz et le poulet ça
va, mais le boeuf est dur, les feuilles de chou pas cuites...
Et le type essaye en plus de nous faire payer 42 000 riels pour
10 dollars, alors que partout c'est 40 000. Refus catégorique
de notre part ! On ne paye que 40 000 riels, pas un de plus
!
vendredi 28
Toujours l'attente ! Nous nous installons sur le balcon avec
vue sur une cour où vivent les gens du quartier. Si encore
on nous donnait un horaire d'avion, nous pourrions sortir un
peu ! Mais à 10 heures, on ne sait toujours rien ! La
jeune réceptionniste est sortie. Nous n'avons accès
à aucun téléphone. Un homme dans la rue,
muni d'un portable, nous ayant vu tourner en rond dans la cour
à la recherche de la jeune femme, appelle pour nous Diethelm
à Siem Reap qui répond qu'il faut attendre les
infos d'Asia... Mais en France il est 4 heures du matin !
Au retour de l'aubergiste, j'appelle cette fois Diethelm à
Phnom Penh. J'ai une interlocutrice qui parle à peu près
français, et qui me dit que si on rachète nos
billets de retour, ce sera plus vite fait, sinon, il faudra
attendre... attendre ! Je téléphone au correspondant
de Siem Reap, celui qui parle un anglais pas terrible, pour
qu'il vienne nous voir... Il est très vite là.
Mais dit-il, il faut attendre, attendre la bonne volonté
d'Asia. Des centaines de touristes sont en attente, beaucoup
ont déjà racheté des vols vers Paris. Mais
nous, on vient seulement d'apprendre qu'on pouvait le faire
! Nous décidons d'acheter de nouveaux billets, en espérant
être remboursés en France. Nous ne pouvons même
pas aller par la terre jusqu'au Vietnam, nous n'avons pas de
visas. Il nous faut donc obtenir des vols avec des connexions
en Chine, au Vietnam ou ailleurs. Tant qu'on reste dans les
aéroports, pas besoin de visa ! Moins de trente minutes
après, on nous aurait déniché un vol pour
Kuala Lumpur, peut-être dimanche, j'attends confirmation.
Comme quoi, les places s'obtiennent mieux en payant. Le problème
était sans doute davantage de trouver un payeur que de
trouver des avions. On se demande pourquoi Asia n'a pas affrété
un charter pour rapatrier tout le monde. La petite réceptionniste
de l'auberge est très sympa, elle a fait le relais des
communications avec son portable. Nous déjeunons en ville
et rentrons à l'auberge à 15 heures pour bouquiner.
17 h 30 : Le retour par Kuala Lumpur est finalement impossible.
On vient de nous proposer un autre vol pour lundi soir, qui
transite par la Corée. Nous sommes allés le payer
à l'agence de Siem Reap à l'instant (972 dollars/personne).
Je ne sais pas ce qu'on récupèrera là-dessus.
Et je crois qu'on va régler aussi la note de la guest
house, Asia n'ayant donné son accord que pour une nuit
à l'hôtel Apsara.
Nous sortons pour aller au même restaurant qu'à
midi, le "World Loundge", on y mange bien et pour
pas cher. Il est situé dans une rue très animée
de Siem Reap, c'est très agréable. Ensuite, nous
repérons notre trajet de retour, sur un guide "Lonely
Planet" dans une boutique. Nous allons dans un premier
temps voler vers le nord-ouest, jusqu'à la Corée,
à la porte du Japon, donc, et repartir dans le sens inverse
pour regagner l'ouest. Cela va représenter 22 heures
de voyage, dont 4 heures d'escale.
samedi 29
Nous commençons par aller acheter des fruits pour le
petit déjeuner, notre stock de bananes étant épuisé.
Puis nous passons la matinée sur le balcon. Il fait frais,
on est bien, presque chez nous car il y a peu de monde à
l'auberge. Il suffit de sortir de la chambre et le balcon est
immédiatement sur notre droite, donnant sur le hall.
A 11 heures, Samso, le jeune patron de l'auberge, le mari de
la réceptionniste sympa, nous apporte nos billets pour
lundi. Il a appris le français à l'école
et il est tout content de bavarder avec nous. Un peu plus tôt,
un agent de Diethelm est passé nous voir. Nous avons
pu avoir une conversation assez longue, en anglais, et comprendre
mieux ce qui se passe, et surtout pourquoi, pour le moment,
tous les frais sont à notre charge. Il ne s'agit pas
d'une grève, comme on nous l'avait dit, mais de l'envahissement
de l'aéroport par le peuple qui réclame la démission
du premier ministre. La police n'intervient pas, car le roi
qui dirige l'armée, n'a pas donné l'ordre d'intervenir.
Et là-dessus, viennent se greffer diverses histoires
de corruption, si bien que la situation est bloquée.
La compagnie aérienne qui en cas de retard simple, aurait
remplacé les billets, ne peut rien faire. Et les touristes
qui n'ont pas pu ou voulu racheter un billet vont attendre...
attendre... que la crise se dénoue... pour obtenir d'autres
vols transitant par Bangkok. Ceux qui ont acheté de nouveaux
billets partiront par d'autres aéroports. Asia, qui à
mon avis aurait dû prendre le relais de la compagnie aérienne
et régler le problème ensuite avec elle, dit à
l'agence Diethelm :"wait... wait... wait... (attendre),
tomorrow... tomorrow... (demain).
A midi, j'ai choisi un plat de porc à l'ananas chaud,
au World Loundge, puis nous avons pris un tuk-tuk jusqu'au village
lacustre de Chong Khneas, au bord du Tonle Sap. Après
avoir marché une heure et demie, le long des maisons
sur pilotis, qui laissent apercevoir une vie difficile et frustre,
nous avons repris le tuk-tuk qui nous attendait, et acheté
des ananas et bananes pour demain matin. Sur le balcon où
nous lisons à l'ombre en fin de journée, nous
dominons une courette bruissante de vie. Nous nous trouvons
au coeur de la vie de quelques familles qui passent dehors le
plus clair de leur temps. Une ribambelle d'enfants jouent joyeusement,
ils se poursuivent en vélo, courent à l'attaque
de je ne sais quoi, tous munis de talkie-walkie. Des mamans,
assises sous les pilotis de la maison d'en face, papotent tranquillement,
d'autres s'occupent de leur bébé. On nous connaît
maintenant. A chacune de nos allées-venues, on nous salue,
on nous sourit. Ce n'est pas un milieu pauvre ici. Tous les
enfants sont bien habillés et disposent de jouets. Cela
contraste avec le gens du village flottant de Chong Khneas,
qui eux, vivent dans un vrai dénuement. Cependant, cette
cour nous donne le spectacle de la vie quotidienne, chose que
nous avons rarement l'occasion de voir d'habitude dans les hôtels,
trop souvent, hélas, situés dans les zones touristiques.
Cette auberge, au coeur de la vie, nous offre le privilège
de passer quelques jours au milieu des gens du pays. Vers 18
heures, on voit des gens passer dans la cour avec une assiette,
mangeant debout ou accroupis, appelant un enfant pour lui glisser
une boulette de riz dans la bouche, pendant qu'il joue. Le repas
ne semble pas une institution ici. D'ailleurs, beaucoup de Cambodgiens
mangent dans la rue, le soir, achetant quelques bricoles à
frire, près des remorques ambulantes qui s'installent
nombreuses le long des rues.
Nous quittons notre balcon...
Pendant une petite demi-heure, marcher le long du fleuve illuminé,
dans la tiédeur de la nuit et atteindre le centre ville...
Flâner dans les rues, musarder dans une librairie en français...
S'arrêter devant quelques peintures colorées...
Dîner dans notre resto préféré
puis revenir à petits pas tranquilles, s'asseoir sur
un banc au bord du fleuve... Refuser cent fois les propositions
à tue-tête "tuk-tuk ? tuk-tuk ?". Non,
merci, on veut marcher, marcher dans la nuit douce.
Arriver à l'auberge... Discuter un quart d'heure avec
les jeunes patrons, lui en français, trop content de
pratiquer cette langue qu'il a appris, elle en anglais... Prendre
son temps puisqu' après tout, ces journées supplémentaires
qu'on n'a pas demandées, on ne les a pas volées
non plus... Chasser un peu plus loin notre copain le lézard,
qui traîne sur le mur près de notre porte depuis
deux jours, l'éloigner juste assez pour qu'il n'entre
pas avec nous dans la chambre... Puis rentrer bouquiner pour
finir la soirée.
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