Jeudi 7 novembre
Debout à 5 h 20 ! Mais pourquoi les vols sont-ils toujours
aussi matinaux ? Notre avion décolle à 7 h 50
pour Calafate, via Buenos Aires où nous changerons d'avion
après une escale de deux heures et demie.
Quelques minutes après le décollage, nous distinguons
sur notre gauche les chutes d'Iguazu. Vues du ciel, elles n'ont
pas la même envergure que sur terre !
Cependant, cela fait plaisir de les voir une dernière
fois.
15 h 30 : L'avion se pose doucement près
du lac Argentino. Bleu laiteux sous le ciel bleu soleil. Nous
avons survolé des mers de nuages lumineux, traversé
des nuées étincelantes à travers lesquelles
perçaient les montagnes enneigées, aperçu
les lacs Viedma puis Argentino, écrins bleus, sous le
ciel bleu effiloché de coton blanc...
Emotion... Voilà donc cette Patagonie... comme un inaccessible
enfin atteint... La même impression qu'en atterrissant
à San Francisco en 2002, l'impression d'entrer dans un
rêve...
L'avion, oui, est venu se poser tout contre le Lago Argentino
scintillant !!!
Neuf degrés dehors... Mais le soleil chauffe, luminosité
exceptionnelle... Il fait clair.
Demain, le Perito Moreno... Depuis le temps que j'en rêve
!!!
Nous nous promenons dans Calafate, faisons quelques courses
pour le pique-nique de demain et dînons au restaurant.
Je goûte l'agneau de Patagonie caramélisé.
Très bon !
Il est 21 heures, il ne fait pas nuit encore et le jour se lève
vers 5 h 30. Forcément, nous sommes si bas en latitude
et au milieu du printemps. Ici, dans un mois et demi, les jours
dureront dix-sept heures.
21 h 30, la nuit tombe, nous préparons nos sacs... Exit
shorts et tee-shirts... Pour demain, chaussettes et gants de
soie sous les chaussettes et gants de laine, caleçon
et maillot de corps de sport, gros pull et manteau de ski...
tout ce que nous avions acheté pour aller en Laponie
en février 2008.
Vendredi 8 novembre
Après la nuit étoilée, le soleil est au
rendez-vous. Levés à 6 h 30, nous nous équipons
pour le Perito Moreno. A Calafate, il ne fait pas très
froid, mais quand nous arriverons au bord du glacier (à
80 km de là), il fera plus frais.
Le bleu du lac Argentino est tel qu'on le voit souvent sur les
photos, un bleu glaciaire, magnifique. Nous voilà donc
dans le bus en route pour ce glacier mythique que j'ai envie
de découvrir depuis que New Nedjma, il y a une dizaine
d'années nous avait montré dans mon groupe de
voyage "Images de partout et d'ailleurs", les photos
de son voyage au Perito Moreno.
Nous roulons cinquante kilomètres dans la plaine patagonique,
plantée de lichens et de myrtilliers, et où se
promènent des troupeaux de moutons. Le lac se détache
sur la Cordillère des Andes enneigée. Quelques
petits icebergs flottent au loin. La guide explique qu'en s'approchant
des Andes, le temps peut varier subitement, on peut vivre les
quatre saisons en un seul jour. La Patagonie est la troisième
zone glaciaire du monde après l'Antarctique et le pôle
Nord. Bientôt le car se glisse entre lacs et montagnes
aux crêtes blanches... Nous entrons dans le parc naturel
de Los Glaciares. Croissant très lentement, à
cause des conditions climatiques, la végétation,
vieille de 250 à 350 ans, a changé. Arbustes verts
et buissons de fleurs rouges colorent le paysage. Une palette
de couleurs entre blanc de la neige, bleu du lac, rouge des
fleurs et tapis vert.
Suspense... La guide annonce : "Attention, préparez-vous
à découvrir la première vue du Perito !
Fermez les yeux ! Elle compte... 10.. 9.. 8.. 7.. 6.. 5.. 4..
3.. 2.. 1.. 0... Ouvrez !
Il est là ! Ouaou !
Coeur battant... Qu'il est beau ! Manolo, le chauffeur du car
a mis une chanson sur le Perito.
Un catamaran nous emmène en quinze
minutes, au pied de la face Est, une paroi de glace, haute comme
un immeuble de vingt étages. Des flocons volettent. Arrivés
face au géant, les voyageurs sont répartis selon
qu'ils parlent anglais ou espagnol. Nous choisissons le groupe
en langue espagnole, que je maîtrise bien et que j'aime
parler. Nous sommes les deux seuls français de l'équipe
et les plus âgés.
Nous chaussons de larges crampons qui prennent toute la semelle
et commençons une grande marche sur le glacier.
Détail amusant : Eric, notre guide de montagne est allé
à Pralognan faire du ski l'an dernier et il y retourne
fin janvier 2014. Sa fiancée, Argentine, est monitrice
à Courchevel.
Nous voilà partis dans un mini-trekking, pas facile,
ça monte beaucoup et ça descend tout autant. A
l'ascension, il faut écarter les pieds en canard, comme
à skis, à la descente les tenir bien parallèles,
genoux fléchis, épaules en arrière. C'est
plutôt sportif !
Eric (comme d'ailleurs les autres guides, les gérants
d'hôtels et les gens que nous avons rencontrés)
est très sympa, convivial, attentif. C'est une véritable
expédition, nous marchons en file indienne entre crevasses
d'eau bleue et pics de glace, jusqu'au point le plus haut où
la vue se révèle éblouissante, sur les
alentours et le lac laiteux.
Au retour, Eric nous arrête et nous offre un whisky avec
glace pilée directement prélevée sur le
glacier. La balade aura duré deux heures. Nous pique-niquons
ensuite, assis dehors, devant la face Est du Perito.
Quelle chance, ce grand soleil ! Environ huit
degrés sur le glacier, avec le soleil, un souffle de
vent et chaudement vêtus, c'est un régal.
Nous enlevons même les manteaux et gants pour déjeuner.
C'est comme à Pralognan, quand par une belle journée,
on s'assoit à la terrasse du Pachu.
La journée n'est pas finie. Nous allons rester en compagnie
du Perito, tout l'après-midi encore.
Sous nos yeux, au moment d'embarquer, un gros bout de glace
tombe dans l'eau avec fracas, constellant la surface du lac
de mini-icebergs. Rien à voir évidemment avec
la grande rupture qui a lieu tous les un à quatre ans...
D'autres craquements, d'autres chutes... Le bateau longe la
paroi d'assez près, la glace miroite en blanc, en bleu.
Les crevasses sont azur, réflexion du ciel dans une eau
pure. Ce phénomène de bleu ne peut se faire que
lorsque la glace ou l'eau ne contiennent pas de sédiments.
Emerveillement devant ces couleurs, cette masse grandiose...
On retient son souffle et on déclenche, on déclenche,
comme si photographier dix fois, cent fois pouvait permettre
d'emporter davantage cette vision.
Pas encore de regrets de quitter ce lieu magique, on est de
nouveau là demain et en croisière pour la journée.
Mais ce site unique ne peut s'effacer de la mémoire,
c'est aussi fort que lever la tête vers les pyramides
du Caire, ou se pencher sur le cirque de Mafate ou le Grand
Canyon, ou encore s'émerveiller à Yellowstone.
La nature est immensément belle... Formidablement impressionnante
!
Le bus nous emmène jusqu'aux passerelles qui permettent
une vue panoramique sur les deux faces du Perito (Nord et Est).
Pendant une heure, nous restons à l'admirer
et à le prendre en photo. De temps à autre, un
gros bloc se détache. Ces crevasses bleues me fascinent.
Voir le Perito en photo et le voir en vrai n'a rien de comparable.
Ce bleu, il existe vraiment, du pastel au bleu soutenu !
De cet endroit, se découvre toute la surface du glacier
qui telle une coulée s'avance dans l'eau et vient buter
sur la terre, et même grimper dessus, coupant en deux
le lac Argentino. Il s'est déjà vu une différence
de vingt mètres de hauteur entre les deux parties du
lac, dans les années 80.
Des affiches indiquent que le glacier mesure 50 à 60
mètres de haut, mais s'enfonce de 120 mètres sous
le niveau du lac, qu'il est long de 14 km et large de 5.
Le vent est froid sur cette plate-forme, mais
le soleil compense un peu. Assis sur un banc, face au Perito,
nous restons en contemplation. Nous rentrons en car vers 18
heures et ressortons plus tard à pied pour dîner
dans un grill de viande où les plats sont servis à
volonté.
Samedi 9 novembre
6 h 15 ! Le réveil sonne. Même pas difficile de
se lever ! Aujourd'hui nous partons en croisière toute
la journée sur le lac Argentino pour l'excursion "tous
les glaciers". Le programme comprend l'approche du glacier
Upsala, du Spegazzini et du Perito Moreno.
Nous voilà donc confortablement installés
dans un vaste catamaran posé sur une eau vert jade. Le
ciel est couvert pour le moment et il fait frais, mais nous
sommes équipés pour avoir chaud, donc tout va
bien.
Nous démarrons à 9 h 15 en direction du glacier
Upsala.
Boca del Diablo... partie la plus étroite du lac...
Les premiers icebergs, bleus, apparaissent sur notre droite,
tandis qu'au fond d'un bras d'eau, se dessine une montagne complètement
blanche, sur un ciel azur. Au-dessus de nous, le ciel n'est
pas encore dégagé et le contraste est intéressant.
Nous entrons et sortons du catamaran bien chauffé pour
les photos. Dehors, c'est glacial à cause de la vitesse
du bateau (34 km/h) mais le soleil et le ciel bleu sont maintenant
au-dessus de nos têtes. Nous naviguons dans le bras nord
du lac. Laissant sur notre gauche le canal Spegazzini, nous
glissons dans le canal Upsala. Quelle lumière ! Quelle
palette ! Echarpes blanches dans le ciel azur pastel, eau jade,
cimes éclatantes de blancheur, icebergs bleus... Au fond
du canal, l'Upsala s'étale de toute sa masse; on en voit
surtout la surface, car le cata ne peut s'approcher, une barrière
d'icebergs ferme le passage, nous empêchant de venir près
de la paroi verticale.
Le bateau stoppe... Photos, photos, photos... Le soleil chauffe
fort et sans le vent de la route, nous cuisons doucement sous
nos anoraks. Dommage de le voir d'aussi loin, ce glacier, plus
gros que le Perito Moreno ! Mais il y en aura d'autres au cours
de la journée !
Le bateau fait demi-tour entre quelques glaçons flottants.
Nous entrons dans le canal Spegazzini; sur notre droite se dévoile
bientôt le glacier Seco, langue glaciaire qui s'écoule
entre deux montagnes sombres et n'atteint pas le lac. il n'est
pas bien grand, comparé aux géants Upsala et Perito
Moreno.
Et voici le beau glacier Spegazzini, que nous frôlons,
à quelques 60 mètres de la paroi... Crevasses
bleues qui pâlissent ou s'illuminent au gré des
nuages... Un rayon de soleil, tous les bleus s'allument, un
nuage les estompe. Ce glacier descend de la montagne, assez
abruptement, on en découvre tout son parcours avant qu'il
ne chute dans l'eau barrant le passage de sa paroi verticale.
Bien sûr, tout le monde est sur le pont, sur les passavants,
pour mitrailler. On ne s'en lasse pas, on s'en régale.
Après une longue station devant ce décor difficile
à décrire, le cata se détourne lentement
pour se diriger vers le Perito Moreno.
Nous sortons le pique-nique et déjeunons dans le bateau
en regardant défiler le paysage. A travers les grandes
baies, le soleil tape fort. Le ciel tout bleu souligne le contour
de montagnes très noires ourlées de coulées
de neige. Le jeu de couleurs est agréable à l'oeil,
avec le vert de l'eau en contrebas.
Cent vingt-huit kilomètres depuis le départ, nous
approchons du Perito Moreno. Pour la dernière fois, nous
avons rendez-vous, coeur battant, avec le glacier magique. Clic
Clac Clic Clac.
Que dire de plus ?
Un long moment à ses pieds...
Soudain, fracas... Un énorme bloc de glace se détache,
une longue estafilade de haut en bas qui s'effondre dans un
bruit de cataracte, provoquant une belle vague tandis qu'une
nuée de cristaux de glace et de gouttes d'eau s'élève
au-dessus du glacier. Spectaculaire, et sous nos yeux, juste
à quelques mètres ! Pas le temps de photographier
hélas, le temps de viser, des têtes passent devant,
c'est fini. Tant pis pour la photo, on l'a dans les yeux !
Admiration silencieuse... Et dans un souffle de regret, le bateau
vire et trace un sillage d'écume devant le décor
sublime. Sillage un peu triste de le quitter... si beau.
Je reste à l'arrière à le regarder reculer,
s'amenuiser, s'éloigner, disparaître. On a commencé
par lui et fini par lui. Rêve éveillé...
La glace pique les yeux par son éclat... On ne le reverra
jamais mais on ne l'oubliera pas...
Au total, nous avons navigué cent soixante-quinze kilomètres...
Une belle croisière !
Pour notre dernière soirée en Argentine, nous
avons envie de manger un de leurs fameux "bife" argentin,
cet épais bifteck (de 350 à 400 g) que nous avions
dégusté plusieurs fois à Buenos Aires.
Au Chili, nous n'en trouverons sans doute pas.
Nous nous régalons donc encore une fois
dans un restaurant local. Nous n'avons jamais mangé à
l'hôtel, les dîners pour touristes sont beaucoup
plus chers. Tandis que les restaurants locaux, à prix
abordables, offrent des repas de qualité.
|