Dimanche 10 novembre
8h30... L'autocar régulier démarre sous un grand soleil...
C'est un grand car argentin, avec toilettes, qui va nous emmener
jusqu'à Puerto Natales, porte d'entrée du Parc National
Torres del Paine au Chili.
Pendant des heures, nous traversons la pampa argentine, bordée
en arrière-plan par la Cordillère des Andes. De rares
moutons broutent la végétation rase des champs enclos
sur des centaines de kilomètres par des clôtures en
barbelé.
11 heures... Pampa, pampa et les Andes au fond, plus proches, plus
hautes...

Midi... Contrôle des passeports en rase
plaine... Deux policiers montent à bord du car.
13 heures... Frontière argentine... Contrôle des passeports.
14 heures... Nous repartons... Dorotea, frontière chilienne...
Contrôle des passeports. En outre ici, les valises seront
scannées, car il est interdit d'entrer de la nourriture au
Chili.
14 h 30... Nous repartons. Cette fois, nous sommes au Chili. Maisons
de tôle ondulée au sortir de Dorotea... Le paysage
a changé, la végétation est moins rase, des
sacs plastiques traînent un peu partout. Nous entrons dans
Puerto Natales... Maisons rudimentaires en tôle... Gare routière...
Stop !
14 h 50... Un chauffeur nous conduit à l'agence Hertz où
nous prenons possession d'une camionnette 4x4, double cabine, une
grosse Toyota, haute sur pattes.
Avant de prendre la route, nous changeons de l'argent et achetons
quelques provisions pour pique-niquer le midi, car dans le parc
national, nous ne trouverons rien à acheter. C'est sympa
de retrouver un véhicule personnel et toute la liberté
qui va avec. C'est plus pratique que les bus, et moins fatiguant
que la marche à pied ! Mais ce n'est que quatre jours, car
ensuite, nous allons à Santiago en avion.
La "Ruta del Fin del Mundo" traverse des paysages riants,
en s'enfonçant à travers la montagne. Petits lacs,
monts aux pentes herbeuses, végétation ancienne à
développement lent. Les arbres sont comme rabougris, parfois
ils ne possèdent plus que trois ou quatre branches vivantes,
le reste est mort sur pied, ou tombé à terre. Impression
de désolation, de fin du monde, que dément le vert
des champs. Le ciel se découvre peu à peu, révélant
un joli bleu pâle très lumineux qui éclaire
ce décor d'une lumière blanche.
Après 80 kilomètres, la route de la fin du monde n'est
plus asphaltée, mais elle reste roulante, car bien plate
et sans nids de poules. Les champs sont aussi propres qu'en Argentine,
l'épisode "sacs plastiques" était très
localisé aux parages de la frontière.
Aux abords du lac Sarmiento, nous nous arrêtons pour photographier
les pics qui le dominent. Le vent soulève des nuées
de poussière, il ne fait pas chaud.
Un guanaco broute sur le bord de la route... Clic Clac, il pose
pour nous. Nous en rencontrons bientôt des troupeaux entiers.
Ils sont beaux.
19 heures... Nous entrons dans le parc, végétation
rasante, touffes de plantes basses et serrées aux formes
arrondies et couvertes d'une multitude de fleurettes rouges qui
transforment la plante en une boule de feu. Lacs, flaques d'eau
et Las Torres, montagne noire et blanche qui domine l'ensemble...
Lago Sarmiento, lago Pehoe, lago Grey...
Nous arrivons enfin vers 20 heures à l'Hosteria Lago Grey.
Un ensemble de petits lodges au pied de la montagne... une vaste
salle à manger vitrée donnant sur le lac Grey, avec
un grand iceberg près du bord et le glacier Grey tout au
fond.

Lundi 11 novembre
En écartant les rideaux, nous laissons entrer la nature dans
notre chambre. En effet les lodges aux toits verts s'ouvrent sur
la verdure par deux grandes baies perpendiculaires qui offrent une
large vue sur l'extérieur. Pour l'instant le ciel est gris
et de la neige volette. Les montagnes qui entourent l'hosteria sont
recouvertes d'une fine pellicule de neige tombée cette nuit.
Après le petit déjeuner, nous partons pour une promenade
à pied d'une heure trente.
Bourrasques de vent, rafales de pluie froide, l'approche des icebergs
plantés non loin de la plage se gagne pas à pas contre
les coups de vent. On aurait préféré le soleil
pour les photos, mais ce n'est pas grave, c'est bien quand même
et on goûte au climat patagonique. Après tout, on les
a gagnées nos photos, et ça fait plaisir. L'anorak
à capuche protège bien, mais les pantalons !!! Trempés
complètement ! Les sacs aussi !
En rentrant, nous étalons tout sur les radiateurs, tandis
que dehors, la neige se mêle à la pluie.
Vers 15 heures, nous sortons en voiture. Un soleil timide et lointain
allume le ciel. Nous nous dirigeons vers les lacs. Dans le ciel,
un immense oiseau plane, battant un coup d'aile avec souplesse de
temps à autre, un condor sans doute.
Nous roulons au pas, pour saisir des vues de toute beauté
mais il faut jongler avec le soleil qui éclaire le bleu émeraude
du lac et les nuages qui coupent la lumière.
Au bord du lac Pehoe, les couleurs sont si belles, émeraude,
jade, perles d'écume blanche, qu'il est impossible de ne
pas descendre de voiture malgré la violence inouïe des
bourrasques contre lesquelles il faut lutter pour rester debout,
pieds écartés et demi-courbés pour offrir moins
de prise au vent. A la pointe du lac, les rafales arrachent l'eau
de la surface et la soulèvent en nuées blanches. Soleil,
pluie, tout à tour et ensemble... Quel spectacle !
Nous rentrons sous des gifles de neige qui courent à l'horizontale
et fondent aussitôt au sol. Mais vers 20 heures, le ciel a
retrouvé un grand bout de bleu. Surprenant ce temps !
Ce soir, comme hier, délicieux repas très raffiné
à l'hôtel ! On n'a pas le choix d'aller manger ailleurs,
il n'y a rien à des dizaines de kilomètres à
la ronde.
Mardi 12 novembre
Bonjour le soleil... en lutte avec le ciel gris. La première
chose au réveil, c'est d'ouvrir en grand les deux rideaux
des larges baies et de scruter le ciel. Il fait froid encore, le
vent est toujours là mais il ne pleut pas, ne neige pas et
le soleil nous fait un clin d'oeil.
10 heures... Nous partons pour la journée en voiture, avec
le pique-nique. Sur la route, comme hier, nous rencontrons de nombreuses
bernaches de Magellan, gros oiseaux de la famille des oies, vivant
en couples, le mâle est blanc, la femelle marron avec une
robe plus sobre à première vue, mais quand elle s'envole,
elle étale le coloris de ses ailes et c'est splendide.

Devant nous, les sommets brillent sous le soleil,
se cachent dans les nuages, jouent avec nous. Nous en découvrons
un à droite, un autre ailleurs, puis plus rien. Mais dans
l'ensemble, il fait vraiment meilleur qu'hier et nous roulons sous
un bout d'azur vif.
Immersion totale dans la nature, le premier village, Cerro Castillo,
est à 130 km et la ville Puerto Natales à 170. Pas
de commerce, pas d'essence, rien... que la nature, les animaux et
quelques rares lodges.
La couleur des lacs nous laisse bouche-bée. Jamais la même
! Aujourd'hui, elle n'est ni bleue, ni verte, mais plutôt
émeraude dans laquelle on aurait versé une pointe
de lait. Nous longeons le Rio Paine, en direction du lac Pehoe.
Des genêts dorés soulignent le bord du plan d'eau,
dominé par d'écrasantes montagnes noires et blanches
qui se découvrent. "Las Torres" c'est le nom de
ces montagnes, qui combiné au fleuve, Rio Paine, donne son
nom à ce parc : "Torres del Paine".
Nous roulons doucement, nous arrêtant pour photographier.
Le vent décoiffe ! Cascade... Forêt de troncs calcinés,
ravagés par un incendie... Lagune Las Mellizas aux eaux vert-gris...
Glacier bleu pâle entre deux hauts sommets... Plantes épineuses
aux fleurs rouges... Vent glacial qui s'infiltre partout quand on
sort de la voiture pour photographier et qui souffle en rafales
rageuses, créant dans le ciel un mouvement perpétuel
entre bleu et nuages... Flocons de neige légers légers...
Soleil... Montagnes tout autour... Lac Nordenskjold... Guanacos...
Lac Sarmiento...
La limite du parc atteinte, cela fait presque quatre heures qu'on
roule sur de la piste, nous faisons demi-tour pour trouver un coin
sympa pour le pique-nique. Pas trop de vent par ici, et un soleil
qui chauffe !
Trois nandous (oiseaux ressemblant aux autruches) posent pour nous...
Clic Clac... Nous les suivons un petit bout à travers la
steppe épineuse. Pique-nique au bord d'un lac, trois condors
planent au-dessus...
Un nuage, trente secondes de neige, fine, légère,
mais le soleil est toujours là. Nous mangeons nos sandwiches
en observant les condors qui se posent de l'autre côté
du petit lac, s'envolent, planent et redescendent. Trop loin pour
des photos correctes !
La route retour est la même et pourtant différente.
Les couleurs, les reflets, tout a changé. Au passage de la
lagune Melliza, il neige, le vent soulève l'eau, beauté
sauvage. Tempête de neige ! De gros flocons courent à
l'horizontale, se glissent dans la voiture par la fenêtre
ouverte pour les photos.

Les quatre saisons en une seule journée...
dit-on en Patagonie. Une petite pause au bord du lac Nordenskjold
nous permet de profiter du spectacle. Bientôt le soleil perce
la voûte grise : myriades de verts et bleus mêlés
en mille nuances. Au détour d'un virage, on s'en prend plein
les yeux du bleu du lac Pehoe... intense, irréel, saturé,
peint à la gouache... Et le retour, dans une palette de couleurs
tellement pures et inattendues qu'on s'imagine dans un décor
de cinéma retravaillé dans un logiciel de retouche
d'images.
Le bleu du ciel est différent de chez nous, ici il semble
pur, si pur, pastel, éthéré, impossible à
décrire. Nous parcourons les derniers kilomètres sous
de grosses averses de neige éclairées par le soleil.
Ce soir, comme les deux jours précédents, le dîner
est excellent, très fin et joliment présenté;
nous mangeons devant un paysage presqu'entièrement dégagé
de ses nuages : icebergs, glacier, lac et montagne blanche.
Mercredi 13 novembre
8 heures... Nous partons. Le soleil étincelle dans un ciel
tout dégagé. Nous allons retraverser tout le parc
sous de nouvelles teintes pour gagner Puerto Natales et au-delà,
Punta Arenas, soit une étape d'un peu plus de 500 kilomètres.
Depuis trois jours, nous n'avons jamais vu un ciel si beau, pas
un nuage dans ce bleu doux qui nous est inconnu à nous, habitants
des régions tempérées. Du coup, les lacs sont
d'un bleu plus profond, moins de vert dans leurs nuances.
Par endroits, la neige tombée hier, s'accroche encore aux
herbes en cristaux glacés, poudrant d'étincelles les
courbes et les creux du sol. On n'a pas assez de nos deux yeux pour
tout admirer, on voudrait n'en pas perdre une miette parce qu'on
va sortir du parc dans quelques minutes et que des paysages pareils,
on a trop envie de les garder en soi.

10 heures... Nous sortons du parc, moutons et
guanacos se promènent autour du poste de garde. Le Rio Paine
s'étale dans toute sa splendeur, devant nous il miroite en
vert, derrière en bleu.
Nous revoilà sur la "Ruta del Fin del Mundo"en
route pour une des villes les plus australes du monde, tout au bout
du continent, les deux autres Ushuaïa et Port Williams (encore
plus sud) étant en effet établies sur une île
toute proche située de l'autre côté du détroit
de Magellan.
Quand nous y serons, ce sera notre troisième "bout du
monde", après Le Cap en Afrique du Sud et Kanyakumari
à la pointe sud de l'Inde.
Quelques kilomètres au-delà de la sortie du parc,
nous retrouvons la route goudronnée que nous n'avions plus
vue depuis dimanche. Sur la route, une ombre nous précède,
celle d'un condor qui doit voler au-dessus de nous. Le temps de
s'arrêter, de descendre, il a disparu.
Puerto Natales... Midi...
La ville occupe le fond d'un golfe donnant sur le Pacifique, une
ville aux maisons basses pour beaucoup en tôle colorée,
qui regarde l'océan et les montagnes aux sommets étincelants.
Des cygnes blancs à tête et cou noirs paradent près
de la grève. Superbe cadre que ce golfe bleu outremer, cerné
par de hauts monts enneigés ! La route s'enfonce ensuite
en ligne droite dans une grande plaine agrémentée
de-ci de-là d'une maigre végétation arbustive.
En Patagonie, les arbres croissent en largeur mais pas en hauteur,
il en résulte des forêts très basses et denses.
L'horizon est toujours barré de montagnes noires sur les
deux tiers inférieurs, blanches sur le dernier tiers.
Parfois, impression de désolation, les forêts semblent
pétrifiées, arbres aux trois-quarts morts, mangés
par des lichens filamenteux. De nombreuses vaches peuplent la steppe,
des chevaux aussi, alors que la pampa argentine, au sud de Calafate,
semblait déserte, si on excepte quelques moutons ici ou là.
Des estancias implantées à plusieurs kilomètres
les unes des autres, gèrent le bétail. Vastes, elles
se composent généralement de plusieurs bâtiments
peints de coloris vifs et regroupés autour d'un plus grand.
14 heures... Nous entrons dans la province de Magellan, le bout
du monde se rapproche.
Des ibis à face noire, gros oiseaux noirs à tête
jaune et long bec fin, picorent dans les champs et s'envolent à
notre approche. Un petit oiseau perché sur un poteau de clôture,
exhibe son ventre écarlate.
Nous nous arrêtons pour pique-niquer. Dans la plaine, les
vaches ont laissé la place aux moutons et agneaux.
Un nandou solitaire se promène. Le soleil chauffe l'habitacle
de la voiture, mais dès qu'on met le pied dehors pour une
photo, on est saisi par le vent et le froid. Le ciel est toujours
d'une pureté extraordinaire.
Au presque bout du bout, on ne rencontre plus que des moutons et
des nandous. Un village très coloré au milieu de nulle
part, une estancia aux toits bleus... et la steppe vallonnée
à perte de vue, bordée à l'ouest, par une chaîne
de montagnes dont on n'aperçoit que la crête blanche.
Nous nous arrêtons pour photographier une petite estancia.
La propriétaire sort et nous propose de venir voir ses pumas
pour 2000 pesos (3 euros). Deux grands superbes pumas frères,
enfermés dans un grand enclos, qu'elle a récupérés
quand ils étaient gros comme des chats, leur mère
ayant été tuée à la chasse. Ils miaulent
quand elle les caresse à travers le grillage, mais personne
ne rentre jamais dans l'enclos car leur instinct de chasse demeure.
Chacun mange 5 kg de viande par jour, viande de vache, mouton, guanaco,
animaux qu'ils élèvent ici.
Nous apprenons ainsi que le guanaco se mange. L'homme de la maison
Manuel Montagna est un descendant de Français des Pyrénées.
C'est son grand-père marin, qui s'est installé en
Patagonie. L'origine montagnarde de celui-ci explique leur nom de
famille.
17 heures... Détroit de Magellan... Là-bas,
de l'autre côté, c'est l'île où se trouve
Ushuaïa. L'eau est bleue et le ciel peint à l'aquarelle.

Punta Arenas, hôtel Plaza plein centre...
Nous posons les valises et partons aussitôt à pied.
Nous marchons au bord du détroit de Magellan. Des cormorans
impériaux s'agglutinent sur des pontons plantés le
long de la promenade. Après une petite balade dans la ville,
nous entrons dans un petit restaurant local. Nous sommes abasourdis
par le prix modique des plats, une soupe de fruits de mer 2,70 euros,
un steak-frites 6 euros, un litre de bière 3,75 euros.
Alors qu'à Puerto Natales un plat, un dessert et une bière
de 33 cl nous coûtaient plus du double.
Le restaurateur est tout un personnage, un petit vieux avec un grand
tablier et une calotte blanche sur la tête qui semble être
à la fois cuistot et serveur. Cuisine maison, bien sûr,
bonne et copieuse, et le sourire content du personnage qui ne doit
pas servir beaucoup de touristes, plutôt des gens du coin.
|